23 décembre 2023
Rencontre avec Sylvie Donaire
Propos recueillis par Claude Cément
Le riche parcours de Sylvie Donaire débute dès l’enfance, dans une cité de la Seine Saint-Denis où son père, designer industriel, lui fournit toutes sortes de papiers avec lesquels elle crée des villes, des objets, des arbres, des coffrets.
Un premier professeur de dessin, aux principes rigoureux, lui apprend les bases du métier. Sa mère, couturière, l’inscrit très jeune à des concours d’arts plastiques dont elle devient lauréate. L’enfant y acquiert le goût de la stimulation, ce qui l’emmène assez rapidement à concourir aussi à l’étranger, à l’âge où d’autres fillettes jouent encore à la poupée.
Sa famille prenant ses vacances en camping sauvage à la montagne, l’enfant y acquiert le goût de la nature, de la contemplation et de l’observation. Tout l’intéresse: la flore, la faune, les minéraux, les insectes, les coléoptères… qu’elle dessine et collectionne avec passion. Elle se rêve en même temps artiste, biologiste, archéologue et exploratrice. Plus tard, une nouvelle chance lui est offerte : le collège et le lycée, où elle poursuit ses études secondaires, possède son propre atelier dirigé par un professeur d’arts plastiques.
Au fil d’autres vacances, la jeune fille de 17 ans découvre la gravure. Après la terminale, toujours curieuse de tout, elle se présente au concours de médecine. Elle y obtient une bonne place qui lui permet de s’inscrire en section dentaire. Elle n’en poursuit pas moins des études de biologie et d’arts plastiques. L’apprentissage du métier de dentiste, manuellement bénéfique, lui permet d’acquérir les techniques de coulée des métaux, d’utiliser des matériaux comme le plâtre, la résine, la cire, l’albâtre, de travailler la sculpture à la cire perdue…
Son doctorat en poche, Sylvie décide de partir en Côte d’Ivoire, où elle travaille bénévolement pendant deux ans dans un hôpital de brousse et dans une école spécialisée en arts naïfs.
De retour en France, elle acquiert son propre cabinet, mais conserve du temps pour travailler la peinture et la gravure dans un atelier partagé avec une amie.
Peut-être son séjour en Afrique a-t-il engendré le vif intérêt qu’elle manifeste alors pour les sciences de l’homme ? La voilà qui postule pour un DEA de paléo-anthropologie au Muséum d’Histoire Naturelle, dont la directrice a besoin de la collaboration d’une spécialiste afin d’identifier des dentitions de squelettes, ainsi que les us et posturaux associés. Mais la réalité de la vie familiale la rattrape. Désormais mariée et mère de jeunes enfants, Sylvie doit renoncer à partir sur un chantier de fouilles en Asie Mineure. Elle reprend alors ses études et passe son diplôme d’arts plastiques. Puis, elle vend son cabinet pour prendre un emploi à horaires décalés dans une clinique, afin de donner plus de place aux arts. Elle expose et intervient dans des établissements scolaires. Cependant, une dystonie aux doigts de la main droite l’oblige à abandonner la pratique chirurgicale et à se consacrer uniquement à ses activités artistiques.
Sylvie déménage donc à Toulouse, où elle passe des diplômes complémentaires,- suite Adobe, dessin numérique, sérigraphie, reliure -, et une certification datadock pour enseigner aux artistes les mécanismes du livre animé.
La densité de son existence peut paraître surprenante. Pourtant, la diversité et la richesse de ses apprentissages la font se sentir entière et libre. Ses connaissances en anatomie, en botanique, en biologie, en minéraux, l’aident tant pour le dessin des corps vivants que celui des paysages. Le métier de sa mère l’ayant habituée aux matériaux du tissu, elle s’avère capable d’imprimer dessus ou de s’en servir dans des collages. Sa créativité paraît sans limite, son équilibre entre les arts et ce que lui a appris son parcours scientifique réussi.
Au fil des années, son travail artistique se concentre sur le phénomène de la perception sensorielle, que son expérience médicale lui a permis d’approfondir. L’énigme posée par les origines espagnoles de son père, l’absence de racines identifiables en Extramadure, puis le contact avec une cousine généalogiste, réveillent son goût pour l’archéologie et la mémoire des lieux, des objets et l’amènent à creuser l’idée du rapport entre le temps et l’image. Peu à peu, sa réflexion et ses recherches se cristallisent autour du concept de traces laissées sur l’homme, le paysage, l’objet, à la fois par les éléments naturels et par l’histoire.
Le livre d’artiste, qui peut utiliser dessin, couleur, peinture sensuelle et mots, lui apparaît comme l’une des finalités logiques réunissant toutes les strates qu’elle identifie dans la construction de son être. La gravure lui semble de plus en plus devenir l’empreinte de la mémoire. Le cuivre, élément minéral, se révèle comme étant une matière où l’art fixe quelque chose de l’ordre de la durée et du définitif.
Mais qu’en est-il donc du papier ? se demande la jeune femme. Pour répondre à cette question, elle écrit un livre entier sur l’histoire d’amour en gravure de la plaque et de ce matériau. De la différence entre les divers grains, opacités et textures, elle tire la conclusion qu’il ne faut pas que l’encre soit bue par le papier, mais qu’elle soit plutôt repoussée par lui. Tout dépend du résultat expérimental ou précis envisagé dans le rendu, compte tenu de la technique employée : gravure ou aquarelle, utilisation ludique ou travaux pour concours et expositions. Les papiers doivent être choisi en fonction de l’effet attendu. Les papiers français ou italien, d’excellente qualité, permettent les choix. Les papiers artisanaux se prêtent davantage à des expériences aléatoires.
Désormais, Sylvie Donaire continue à œuvrer et à vivre à Toulouse. Comme il est écrit sur son site, son travail d’eaux fortes, poétique et d’un dessin délicat restitue tantôt de manière figurative, tantôt de manière plus abstraite, ses ressentis dans des camaïeux de tons chauds et de noir, ou bien dans des turquoises acides, où elle évoque des paysages lunaires ou imaginaires. Sa prédilection pour la nature, les sols, les végétaux ne l’a pas quittée et l’inspire toujours autant.
Elle utilise la peinture dans une gestuelle forte, au couteau, pour parler de la nuit.
L’amour qu’elle infuse dans ses créations la conduit à se poser des questions sur leur présentation. C’est pourquoi elle s’est intéressée à certaines formes de scénographie pour valoriser son travail. Elle n’a pas oublié pas non plus les jeux de papier qu’elle a pratiqués au cours de son enfance et s’est mise à la création de pop-ups afin d’y introduire ses eaux fortes. L’idée lui en est venue au cours d’un travail au Musée de la Mémoire de la Seconde Guerre Mondiale où on lui avait prêté des documents sur la shoa. Ceux-ci montraient comment une famille de déportés avait, après les camps, réapprit les métiers de la couture et de la menuiserie. L’histoire de la reconstruction des êtres à travers ces emplois l’a bouleversée et déterminée à entreprendre un travail artistique pour abriter un déploiement de photos de famille dans un système de verticalité qui symbolisait l’avenir.
Depuis, elle se consacre parfois à la formation d’autres artistes ou amateurs de ce type d’ouvrages. Elle précise qu’elle n’a rien contre le livre-objet. À condition qu’il raconte de lui-même une histoire et ne soit pas anecdotique. Dans certains livres d’artiste, un texte pourrait paraître redondant. Pourtant, elle n’en aime pas moins le ballet du texte et de l’image en duo. Elle associe à ces recherches une idée de lucidité à celle de ludicité, selon les sujets envisagés.
Lorsqu’elle a postulé à une résidence en Islande, son goût du minéral déjà exprimé dans certaines de ses œuvres s’est trouvé confronté à la réalité du terrain alliée à son désir de transposer ses gravures dans l’univers concret dont elles étaient issues. Devant les vrais déserts de lave qu’elle découvrait dans ce pays, il lui a semblé revenir à la source de l’une de ses inspirations. Mais comment conserver la trace de ce passage ? Un film lui a paru être une vision plus large, moins fragmentée que des photos ou même une suite de seules gravures. C’est pourquoi elle a introduit ses gravures dans les paysages du film. La boucle entre inspiration due au matériau et incorporation de l’œuvre au matériau était bouclée.
Depuis son enfance et sa jeunesse, Sylvie Donaire demeure habitée par un besoin toujours aussi vif de créer, d’entreprendre, de tracer sur le papier, d’imprimer, et par le goût d’assembler et de coudre. Nourri par ses autres métiers, l’art a fini par les dévorer entièrement et par s’imposer de façon définitive dans l’entièreté de sa vie, faisant d’elle une artiste toujours en quête de recherche et d’expérimentation.
Pour la contacter :
Courriel : donairesylvie@gmail.com
Tel : 0618073194
Site : http://sylviedonaire.net/